Laissez-moi vous parler d’un jeu qui me plaît et que je ne saurais que trop vous conseiller :

La critique.

Soit l’analyse, puis la discussion en découlant.

Même si la critique peut transcender tous les genres, je ne traiterai ici presque uniquement que de littérature et de cinéma, avec un penchant certain pour le cinéma.

 

C’est parti mon kiki !

I/ KÉZAKO ET PORQUE NO

«  T’as aimé.

- Oui.

- Mais comment tu l’as trouvé ?

- Ouais, pas mal.

- C’est tout ? Qu’est ce que tu as d’autre à dire ?

- Ben y’a des moments drôle ou je trouve que machin joue bien ou c’est pas trop compliqué à lire ou j’adore quand bidule dit blablabla… »

 

Qu’il est difficile de parler d’une œuvre, de son propre ressenti, de ses appréhensions. Ou plutôt, je devrais dire « qu’il paraît difficile… »

Quel dommage que de sortir d’un cinéma entre ami et de ne pas décortiquer ensemble le film au delà du classique « c’était sympa, hein ?/ Ouais. »

Les raisons peuvent en être multiple. Manque de vocabulaire, de jargon, difficulté de discernement, pas assez d’attention aux détails, peur d’émettre son avis personnel, de se sentir idiot. Il est possible aussi qu’on ne voit pas grand intérêt à cet exercice.

 

Or, la critique est un jeu stimulant et amusant. Je vais essayer de vous en convaincre.

La critique, justement, enlevons-lui l’habit péjoratif qu’on lui prête parfois et redonnons lui sa signification première. Ne nous occupons pas de l’adjectif ni du critique désignant le professionnel qui juge. Non, occupons-nous du sens premier de ce nom commun.

 

Critique n.f.  1 Examen en vue de porter un jugement. La critique de la connaissance. 2 Art de juger les ouvrages de l’esprit, les œuvres littéraires, artistique. La critique dramatique. Analyse, examen d’une œuvre pour la juger. []

 

Voilà qui me semble claire comme de l’eau de roche. Critiquer, c’est analyser pour juger et par extension, reconnaître, apprécier, comparer.

Mais en quoi l’exercice peut nous être utile ?

Tout simplement parce lorsque nous nous concentrons sur une œuvre pour ensuite en parler à nos pairs, nous mobilisons l’attention, la réflexion, l’esprit critique et l’éloquence. Quatre armes utiles au quotidien.  Que ce soit en cours, au travail ou entre amis.

En s’habituant à cette pratique, nous découvrons et façonnons notre goût, nous apprenons à mieux nous connaître. Au lieux d’un vague ressenti en forme de j’aime ou j’aime pas, nous mettons le doigt sur des choses concrètes, des rouages de notre personnalité. Il en ressort une vraie satisfaction et mieux encore, un gain de confiance en soi.

Pourtant, la critique et l’étude d’une œuvre prennent immédiatement une connotation péjorative, un aspect barbant.

Qu’on se le dise, critiquer n’est pas réservé à ce cliché du petit hargneux représentant l’arrogance intellectuelle, portant petites lunettes et veste en tweed et crachant sur tout ce qui passe sous son regard. Critiquer n’est pas une corvée, ni un labeur.


Alors pourquoi ce préjugé ?

J’ose montrer du doigt l’école, du moins une de ses facettes.

Souvenez-vous des « Tartuffe », « Candide », « Le Rouge et Le Noir » et autres « Frankenstein » dont on ne se souvient plus, justement. Souvenez-vous de ces bouquins qu’on nous a obligé à lire. Souvenez-vous de ces dix figures de style qu’il fallait absolument débusquer pour avoir une bonne note. Je suis certain qu’une grosse majorité des élèves (dont je faisais partie) passe à côté de la malice de La Fontaine et du génie d’Edmond Rostand à cause du filtre rigide et lourdingue de l’école.

Pas étonnant qu’on se fâche, consciemment ou pas, avec ce genre d’exercice…

 

Ainsi, la question qui titillera certains d’entre vous sera : Comment s’adonner au plaisir de la critique sans justement passer pour un relou du club lecture ou pour une tête d’ampoule maitrisant le jargon cinématographique ? 

Etape 1 : Comprendre une bonne fois pour toute qu’il n’y a rien d’has-been dans le club lecture et qu’utiliser des termes techniques – et savoir les expliquer – est l’idéal pour se faire comprendre. L’intelligence, sous toutes ses formes, n’est pas une maladie mais un bienfait que l’on se doit de cultiver.

Etape 2 : Pourquoi pas se mettre à la critique utile et cordiale ?

 

Ce que j’appelle la critique utile et cordiale, c’est le fait de discuter d’un film ou d’un bouquin avec une certaine précision, d’émettre un avis présentant des arguments et, bien évidemment, écouter celui des autres.

Enrichir l’autre et s’enrichir soi-même avec les outils de la critique.

Utile, donc, mais aussi cordiale, soit sans violence. C’est un jeu où tout le monde à raison – et personne !  L’essentiel est de développer, pas tant de conclure.

II/ STOPOGAVAGE

Aujourd’hui, nous sommes submergés d’images. Elles nous viennent de tout horizons et sous toutes les formes (films, séries, mais aussi émissions diverses, télé-réalité, clips, publicités…).

Le cinéma et les dvd subsistent, certes, mais avec les centaines de chaines télévisées, les médiathèques, le téléchargement en ligne ou le streaming, nous ne sommes plus obligé de dépenser, ou pas directement, et nous en profitons… parfois à l’excès.

Quel que soit le média, beaucoup de produits nous habituent à ce que ça aille vite, que ce soit beau, coloré, dynamique. Il faut une explosion à la fin, des vannes s’inscrivant dans les « bonnes mœurs », un scénario prémâché, voir prédigéré. Il faut être sexy, populaire et avoir de la répartie. La vie ressemble à une pub, à un clip. Les gentils gagnent, l’homme séduit la femme et, à la fin de l’histoire, soit la boucle est bouclé et il n’y a aucune question à se poser, soit il y a un rebondissement de dernière minute qui va nous contraindre à consommer la suite pour ne pas demeurer insatisfait.

Mais ce n’est pas le plus inquiétant. Nous sommes tellement gavé de ces gimmicks, de cette norme, que dès qu’un autre produit nous est proposé, il ne nous plaît pas. « J’ai pas envie de réfléchir, je veux pas me prendre la tête, juste me détendre » entendons-nous souvent.

Bouuuh ! Notre cerveau s’éteint et on en vient à dire que cela ne nous plaît pas de le rallumer.

Je sais que toute réflexion s’inscrit dans un contexte. Je sais qu’après une dure semaine de boulot, un film pop-corn est agréable, je serai le premier à le revendiquer. Je sais qu'on allume parfois sa télévision par réflexe, sans vraiment la regarder. Créer une présence, pour ainsi dire... 

Je ne condamne pas la télévision, seulement le trou noir qu'elle peut constituer si l'on y prends pas garde.


Critiquer, commenter, débattre implique d’être conscient de ce que l’on regarde, d’être attentif. Savourer au lieu de gober. Il n’y a que de cette façon qu’on peut se rendre compte de la saveur…

III/ COMMENT SE FAISSE ?

Critiquer, ok. Mais comment s’y prendre ? Par quel bout commencer ?

Petit briefing de mon cru, en trois couplets :

 

Put your brain on

Déjà entendu parler de la conscience spontanée et de la conscience réfléchie ? Remember les cours de philo’ en terminale. En gros, la conscience spontanée, c’est celle qui se laisse aller, qui kiffe, sans se poser de question. Mettons que vous soyez devant un film à la télé. Eh bien vous êtes littéralement absorbé par l’écran - mode spectateur enclenché. Pour grossir le truc, on peut imaginer un bonhomme sur son canapé, bouche ouverte, un filet de bave sur la commissure, tenant la même chips depuis trente minutes sans jamais la manger.

La conscience réfléchie, a contrario, c’est celle qui permet le retour sur soi. « Je lis, mais je suis conscient que je lis » ou, pour garder notre exemple, le bonhomme devant son film se trouve conscient de ce qu’il regarde, il se pose des questions sur le jeu des acteurs, analyse le cadrage, observe la lumière et se demande si la décision de Jack entre bien dans la logique du schéma narratif. Ou alors, s’il vient d’avoir peur, il est capable de chercher les mécanismes qui l'ont mené à cette peur : musique inquiétante, champs très rétréci, respiration du personnage haletante, etc.

Bref, pour critiquer une œuvre, il ne faut pas la subir, mais la vivre.

Ceci dit, c’est facile à dire, un peu moins à faire… Surtout dans le cas d’un film. Avec ses vingt-quatre images par seconde minimum, l’écran excite nos pupilles. De fait, notre cerveau, traitant ces images aussi rapidement qu'elles arrivent, se croit actif. Que nenni ! Il avale, c’est tout. Il se gave. Arriver à se détacher de ce que l’on regarde, s’en rendre compte, est difficile au début, puis on y arrive de mieux en mieux.

Mais ce n’est pas le seul hic, lorsque l’on switch de la conscience spontanée à la conscience réfléchie, on sort de l’histoire. Cela peut être réellement  frustrant car si l’on émerge du récit, on n’en jouit plus. On n’en profite moins… Il s’agit donc de trouver le bon équilibre entre le mode passif du cerveau et son mode actif.

Avec le temps et la pratique, chaque élément qui se soulève de lui-même finira par aller se ranger dans un coin de la tête sans empêcher de demeurer spectateur. Quand nous fermerons le livre, ou que le film sera fini, ces éléments réapparaitront  et nous pourrons les traiter.

Parfois, la mémoire s’embrouille et c’est naturel. C’est là que jouter verbalement avec d’autre devient intéressant. Grâce aux opinions et souvenirs des autres, on complète son puzzle.

Bienvenue à Brobulos

Imaginons que tu débarques dans une contrée inconnue. Les autochtones sont ravie de t’accueillir et te propose de goûter du brobul. En bon vivant que tu es, tu acceptes de déguster. Mais si on te demande ensuite « alors, tu le trouves comment pour un brobul ? », n’en ayant jamais mangé auparavant, tu ne sauras que répondre. Peut-être « j’aime bien » ou « j’aime pas » ou à la rigueur « c’est pas mal » si t’es polie. Puis, quand on t’en fera goûter un deuxième, tu seras à même de dire s’il est plus salé, moins sec, plus tendre… Et lorsqu’en cinq ans à Brobulos, tu auras ingurgité des centaines de brobuls, tu en parleras beaucoup mieux. Tu sauras lesquels tu préfères, tu connaitras les recettes, identifieras les ingrédients, la préparation ou la cuisson rien qu’en goûtant, et tu percevras la différence entre chaque brobul.

Se mettre à la critique, c’est à peu prés comme l’histoire des brobuls. Il faudra attendre d’en goûter plusieurs avant d’affiner ton discours. Car critiquer, c’est aussi comparer. Et comme dit le vieil adage, c’est en forgeant que l’on devient forgeron.

 

Petit nota bene : certes, tu as déjà vu des films ou lu des livres auparavant et, inconsciemment ou pas, tu détiens des éléments qui te serviront a fortiori – c’est pourquoi la comparaison brobulosienne a ses limites.


Le cercle vertueux de la création

Si tu t’es déjà essayé à l’écriture, participé à la création d’un film/court-métrage ou si tu pratique tout autre forme de création (dessin, menuiserie, cuisine, musique, danse, etc.), tu vois surement où je veux en venir.

Quand on utilise soi-même les outils incombant à la création d’une histoire, on est plus apte à les repérer et les critiquer quand on spectateur.

Permettez-moi une nouvelle comparaison pour illustrer mes propos.

Prenons un chantourneur, ou plutôt un de ses ouvrages : un puzzle en bois de sa conception.

Un bonhomme est devant, il regarde le machin et se dit « mouais. Un puzzle en bois, quoi. Ça casse pas trois pattes à un canard, même boiteux ». Notons que notre ami ignore ce qu’est une scie à chantourner ( je ne saurais l’en blâmer, avant de savoir ce que c’est, on ignore ce que c’est. Ainsi va la vie).

Le bonhomme, curieux, va ensuite découvrir cet outil. On lui présente et il l’essaye. Ce n’est qu’alors qu’il se rendra compte de la valeur de ce fameux puzzle en bois. « Ah oui, c’est pas mal en fait… Oh ! Comment il a réussis à faire cet angle-là le bougre ?! C’est fort… » Dira-t-il probablement. Il comprendra que l’ouvrage est le résultat de choix (modèle, essence du bois, largeur de lame utilisée,…) mais aussi de patience, de minutie et de savoir-faire.

Faire, c’est comprendre. Rien ne vaut l’expérience. Ou alors, comme j’ai entendu récemment et ce me semble tout à fait à propos : « On se souvient mieux de la route si on conduit la bagnole que si on est passager. »

 

Cette petite histoire me permet d’exprimer une autre pensée...

Au même titre que le puzzle en bois s’avère plus compliqué à réaliser qu’on ne le pensait initialement et qu’il mérite plus de considération qu’a priori, faire un film ou écrire un livre, c’est difficile. Le proposer aux autres, encore plus. On ne peut que très rarement se contenter d’un « c’est nul. Point», même le soi-disant courtois « ça ne me plaît pas. Point » me paraît une solution un peu trop facile. Tout travail mérite salaire et le salaire minimum, le SMIC, de toute tentative artistique entreprise avec bonne volonté, c’est la reconnaissance. Et si c’est là le minimum, alors la critique, au sens où je l’ai décrite précédemment, c’est du pain bénit !

 

La critique, les commentaires et les débats font vivre une œuvre. C’est la plus belle des récompenses pour la/le/les auteurs.

LE MOT DE LA FIN

Loin de vouloir me poser en redresseur de torts, ou en culpabilisateur, je souhaitais simplement vous présenter cet outil qu’est la critique utile et cordiale.

Ce qu’elle est, quels sont les bénéfices en résultant et comment la pratiquer.

A travers elle, modestement, je fais l’éloge de la curiosité. Ça ne mange pas de pain...

Curieux, justement, il n’appartient qu’à nous de l’être. Aucune institution ne fabriquera notre intelligence à notre place. Aucune ne doit le faire.

Allons chercher des œuvres, des images, des textes et parlons-en.

Construisons-nos gouts, ne laissons pas les autres les régir.

 

Alors, convaincu ?

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Je ne saurais post-conclure cet article sans vous renvoyer au Fossoyeur de Films, chroniqueur sur Youtube. Ses analyses filmiques sont claires et pertinentes. De plus, au niveau vulgarisation du jargon cinématographique, il se pose là le bonhomme. On en ressort toujours avec un truc en plus !

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SOURCES D'INSPIRATION ET OUTILS DE TRAVAIL

(Je compte pas le dico, Toto)

 

 

Mon Utopie, d’Albert Jacquard, chez Stock, 2006

 

 

Ça S’est Fait Comme Ça, de Gérard Depardieu, chez XO Editions, 2014

 

 

Intervention d’Alexandre Astier à propos de la télé-réalité sur le plateau de Morandini , FranceTV, 2012

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Commentaire d’Alexandre Astier sur le film Heat dans La Grande Soirée Cinéma, présenté par Frédéric Taddeï.

--> Voir la vidéo

 

 

L’intégralité des vidéos du Fossoyeur de Films, chaine Youtube

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